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Article paru dans Le Régional le 16 avril 2008
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Interview, Gilles Bürki, Journal du Jura

Sabine Dormond

«En Suisse, on a une vision numérique des réfugiés»

La procédure de consultation du nouveau projet de révision de la loi sur l’asile et de la loi fédérale sur les étrangers vient de prendre fin. L’occasion d’évoquer la situation des réfugiés en compagnie de l’ancienne élue socialiste Sabine Dormond, traductrice de métier et écrivaine par passion.

Cela fait des années que Sabine Dormond se bat en faveur des requérants d’asile. Ancienne élue socialiste au Conseil communal de Montreux, celle qui gagne sa vie en traduisant des textes, notamment pour Caritas Suisse, a publié, en 2007, «36 chandelles». Ce recueil de nouvelles est le résultat de la grosse déception qu’elle a ressentie le 24 septembre 2006, jour de gloire pour la nouvelle loi sur les étrangers et la loi sur l’asile révisée. A peine plus d’un an après leur mise en vigueur, la Confédération souhaite y revenir, ce qui n’est pas du goût de la Montreusienne.

Sabine Dormond, cette énième révision vise à durcir encore les conditions d’asile en Suisse. En quoi consiste-telle exactement?

En particulier, les personnes qui souhaiteront déposer une demande d’asile n’auront plus la possibilité de le faire à l’ambassade de Suisse dans leur pays. Cela les obligera à entreprendre un long voyage et contribuera à engraisser les passeurs. D’autre part, les déserteurs ne seront plus reconnus comme des requérants d’asile.

Les personnes qui désertent peuvent avoir de bonnes raisons de le faire. Comment expliquez-vous cette mesure?

Je ne l’explique pas autrement que par le fait qu’en Suisse et en Europe, on a une vision purement numérique des réfugiés. On vise à réduire leur nombre par tous les moyens.

Le Conseil fédéral a notamment justifié ces choix en évoquant l’augmentation du nombre des demandes d’asile. Vous conviendrez que la Suisse ne peut matériellement pas faire face à toute la misère du monde…

Sur les 67 millions de personnes en fuite dans le monde, seules 16 millions franchissent les frontières de leur pays et sont donc considérées comme des réfugiés. Et une infime minorité d’entre eux parvient jusque dans les pays industrialisés. Quant à la Suisse, elle ne se place qu’au 4e rang des pays européens les plus «accueillants», proportionnellement à sa population.

Est-ce à dire que les requérants d’asile qui atteignent l’Europe font partie de ceux qui disposent des moyens financiers les plus importants?

Il est certain que pour un Africain, par exemple, venir jusqu’ici coûte très cher. Parfois, tout un village se cotise pour permettre à l’un des siens d’aller tenter sa chance en Europe, avec l’espoir qu’il en revienne avec un peu d’argent. On comprend dès lors la honte qu’une personne peut ressentir lorsqu’elle se fait renvoyer sans le moindre sou en poche.

Cette pression subie par certains requérants d’asile les pousse-t-elle à la délinquance?

Je ne crois pas que les vrais requérants, c'est-à-dire ceux qui sont bien intentionnés dès le départ et qui n’ont d’autre but que de travailler honnêtement, sombrent dans la délinquance. Mais en se voyant exclus de l’aide sociale et en ne percevant plus que 8 fr. par jour pour subvenir à leurs besoins, ils auraient de quoi céder à la tentation. Tout est fait pour leur empoisonner la vie quotidiennement et les inciter à partir.

Avez-vous un exemple concret?

Je visite régulièrement le centre de requérants de Vevey. Eh bien, on leur sert tous les soirs le même repas. Et le pain des sandwichs qu’on leur distribue à midi est brûlé tous les jours, sauf le mercredi.

Et pourquoi pas le mercredi?

Parce que le cuisinier habituel est en congé ce jour-là…

Vous vous battez depuis des années pour améliorer la situation des réfugiés. N’êtes vous pas découragée, parfois?

Si, parce qu’il faut bien admettre que l’UDC triomphe sur ce dossier. La tradition humanitaire de la Suisse est en train de se perdre. Je garde malgré tout un certain espoir, parce que quand le balancier va trop loin dans un sens, il fini bien par revenir en arrière. Mais en laissant de gros dégâts derrière lui…


© Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion..

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Sabine Dormond - Recits.ch

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