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Overblog, le 23 septembre 2016
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Fattorius Overblog

Dix nouvelles, tous suspects avec Sabine Dormond

 
23 septembre 2016

Lu par Francis Richard.

Le titre a un parfum de déjà-lu, et pourtant il titille les narines du lecteur curieux. Pensez donc: un recueil de nouvelles, d'histoires courtes et bien montées, signées de l'auteure Sabine Dormond. "Le Parfum du soupçon" tient son lectorat en haleine en instillant, dans chacune de ses dix nouvelles rédigées de manière fluide, un fumet d'incertitude qui permet à l'écrivaine de mener chacune et chacun... par le bout du nez: les surprises sont au rendez-vous.

Le lecteur familier de l'auteure trouvera celle-ci fidèle à elle-même: tout au long du récit, on trouvera une tendresse face à certains groupes de population dont la vie n'est pas forcément évidente sous nos latitudes ou, d'une manière plus large, à ceux qu'on peut voir comme des victimes: prisonniers, migrants. Cela, quitte à, parfois réserver, d'une manière manichéenne, le mauvais rôle à "l'homme occidental blanc de nationalité suisse": fonctionnaire indélicat, maton obtus ou écrivain spoliateur (dans la nouvelle "Ruban rouge").

Reste que la rédemption est possible, et l'auteure sait flatter le lecteur en le prenant par les sentiments. On en donnera pour preuve la nouvelle "La gueule de l'emploi", qui met en scène un activiste de droite dure. Si le personnage principal, Michel, semble devenir fou, c'est la lecture qui va le sauver. Reste-t-il un activiste de droite à la fin de la nouvelle? C'est surtout devenu un lecteur, et peu importe qu'il soit fan d'Aragon ou de Brasillach. L'évolution est décrite en finesse, quitte à ce que le migrant - en l'espèce un médecin syrien réduit à l'exil et à la mendicité par la guerre - y joue, par un concours de circonstances, un rôle bénéfique. Tendresse, ai-je dit...

Le titre comprend le mot "soupçon", et c'est sans doute dans la nouvelle "Ensilencement" qu'il trouve sa meilleure expression. C'est une nouvelle écrite à la manière d'un petit roman éclaté - qui mériterait du reste d'en devenir un grand! L'écrivaine a le chic pour faire germer le soupçon, dans ce qu'il peut avoir d'insidieux, et surtout de le faire croître jusqu'à ce qu'il soit à deux doigts d'exploser. Autant dire qu'entre les personnages, à savoir un couple dont Monsieur est soupçonné d'adultère, la maîtresse présumée et la fille du couple, les tensions deviennent électriques. En centrant son récit autour d'une soirée de Noël, l'écrivaine crée une dramatisation maximale: alors que Noël devrait être la fête de la concorde, voilà qu'elle devient celle des non-dits pensants qui empêchent tout, même la décoration sereine du sapin de Noël. Cela, au fil d'un crescendo inexorable et captivant.

On aimerait aussi évoquer l'onomastique, que l'auteure utilise pour ancrer son livre dans le terroir vaudois (on s'appelle Diserens dans "Ensilencement") ou pour jouer sur le sens des noms ("Marc d'affection", titre d'une nouvelle mettant en scène une écrivaine et son conjoint, ou ce Zad qui fait figure de "zone à défendre" contre le cancer dans "Confitures maison", nouvelle qui tourne autour de la question des sols contaminés et de la folie immobilière en Suisse). On peut aussi évoquer le style, à la fois difficile et envoûtant, pour ne pas dire succulent, des premières lignes de "Ruban rouge".

Mais surtout, centré autour du thème du soupçon et de l'incertitude, tantôt grave tantôt presque comique (ah, le séjour en résidence surveillée de "Forcenée", un clin d'oeil à tous les cyclistes!), "Le parfum du soupçon" s'avère sans doute le recueil de nouvelles le plus cohérent, et donc le plus accrocheur et le plus mûr, de l'écrivaine vaudoise Sabine Dormond.

Sabine Dormond, Le parfum du soupçon, Sainte-Croix, Editions Mon Village, 2016.

Date: 23.09.2016 - Source: Fattorius.Overblog
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Sabine Dormond - Recits.ch

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